Il est 17h30 pile. Dès que la porte d’entrée est ouverte dans le petit local…
Les musiques et les mots… exercice de style
Le bailleur social Halpades a souhaité proposer à ses jeunes locataires une découverte de l’univers de la musique classique avec l’orchestre des pays de Savoie au travers du slam. L’idée est de leur proposer un atelier d’écriture de deux jours sur la thématique : « habiter ma ville ». Ce projet a été mené sur un quartier de Seynod à Annecy et aux Ewües à Cluses. La finalité est que ces jeunes partent avec « une carte postale sonore ».
Le groupe de filles est assis dans une salle prêtée par l’association Mieux vivre dans sa ville.
L’ambiance est studieuse mais décontractée. Là se trouvent 6 adolescentes, Marion Bonnery (responsable de la médiation culturelle pour l’Orchestre des Pays de Savoie) et l’éducatrice de prévention spécialisée qui accompagne le groupe. Qui accompagne ? Non, pas seulement. Chacune écrit, donne son avis. Ici, selon le principe participatif, cher aux éducateurs, une personne représente une voix.
Le slameur Martin Chastenet, alias Fich le Rouge, maintient le groupe dans la concentration, il recentre l’énergie débordante des filles. Débute alors l’écriture des haïkus sur leur ville. Il a choisi ce format pour ne pas mettre en difficulté les poétesses en herbe. C’est un format court, qui autorise chacun à s’exprimer en peu de mots. Il est rompu à ce genre d’exercice avec des groupes très différents de novices : « je viens avec des idées sur le déroulé des stages. Après, c’est la rencontre avec les gens présents qui m’oriente vers tel ou tel choix de slam. J’ai un sac à dos plein d’idées, et je pioche dedans, selon le public avec qui je travaille ».
L’écriture
Le choix de l’exercice s’est porté sur l’écriture de 3 vers qui représentent leur vision de la ville de Cluses à chaque saison. Une fois que tout le monde a imaginé ses haïkus, vient le moment de la mise en commun. Au sein du groupe, chacun reprend les idées des unes, des autres. Avec Martin, elles travaillent à changer un mot, à façonner les idées, à trouver des synonymes, à chercher les rimes, à donner de la profondeur, à chambouler l’ordre pour trouver de l’harmonie. Le projet étant de mêler le slam, poésie urbaine, à la musique classique, ils se préoccupent du rythme des mots autant que de leurs sens. Martin le répète avant la pause repas : « le training d’hier c’était pour se lâcher. Aujourd’hui, on enregistre. Ça doit être qualitatif ». Par contre, il le répète à l’envie : la finalité, c’est la joie !
Préparation des sessions
Martin donne les consignes pour prononcer le texte, de façon à le rendre « stylé ». Il inscrit comme rappel sur le tableau les notions essentielles avant l’enregistrement des voix : pauses et respect des silences, rythme et respiration, intention et tonalité, volume et intensité, articulation et ponctuation, posture physique et mentale. Le slameur explique chaque concept, en s’attardant sur le dernier : même avec le trac, même avec le cœur qui bat fort, un artiste doit donner au public une prestation de qualité : « une fois en scène, vous devez envoyer du rêve. La posture mentale exprime l’intention avec laquelle vous allez faire votre prestation ». Il rajoute : « je suis avec un collectif, on est tous ensemble, tout le monde compte sur moi, la place qui est là, c’est la mienne, et personne ne peut le faire à ma place ». C’est dans cet état d’esprit là, une fois le coaching voix, et ces idées bien en tête que la répartition du texte est effectuée : chaque saison sera chantée par deux participantes.
Les filles s’éparpillent à l’extérieur pour s’entraîner en binômes à poser leurs voix sur le texte qu’elles ont écrit. Elles cherchent dans leurs corps, les gestes, le ton, les bons mots… ce n’est pas aussi simple qu’on pourrait le croire.
L’enregistrement
Elles ne se sentent pas encore prêtes, mais c’est le moment de passer au concret. Martin devient alors Fish le Rouge le professionnel de la prise de son et installe le matériel, explique chaque objet, le pied de micro, le micro, les câbles, le filtre « anti-pop »… Il rajoute en parlant du public : « c’est le moment de leur mettre des étoiles dans les yeux. Je vous le dis d’avance, ça va être ouf ! »
L’enregistrement des saisons commence. Le travail se poursuit en faisant, « L’intitulé de ce passage, c’est ma ville en été, ce n’est pas une question. C’est une certitude ». Mais c’est compliqué de ne pas se croire à l’école, à attendre l’assentiment d’un professeur. Alors, Martin essaye une autre approche. Il demande à la jeune fille devant le micro de fermer les yeux, et de répéter les phrases après lui, comme lui. Et peu à peu, la voix de cette participante se détend, accepte le jeu, commence à faire confiance et se pose. Le slameur le concède : « des fois je les pousse un peu, mais c’est toujours avec indulgence. ».
Puis vient le tour d’une autre des adolescentes. Trop vite ! Alors, elle s’arrête et elle recommence : « on ne prend pas le TGV, on va marcher tranquille. Prends le temps entre chaque phrase ! ». Ces paroles sont accueillies par des rires complices. Re-concentration, articulation, apprentissage. A ce moment, elles sont un collectif. Et Martin, l’oreille toujours attentive agrémente de « super ! très bien ! c’est trop cool, tu peux être fière de toi !»
Une fois chacune des saisons enregistrées, toutes les personnes qui assistent à la séance passent individuellement devant le micro pour le refrain. Les adolescentes maitrisent mieux ce morceau du texte, et elles « envoient ». A chaque fin de prise de son, il les félicite : « Tu as la classe, tu es trop forte ». Mais il faut se concentrer, la bande son dans le casque va vite, et n’attend pas « on reste bien sur l’objectif ». Le slameur leur confie que lui aussi fait souvent plusieurs prises quand il est en studio.
Quand tous les refrains sont enregistrés, Martin offre un premier aperçu du rendu. Les filles sont ravies, le résultat est très convaincant.
Le bilan
« Chacun donne son point de vue, ce que j’ai aimé, ce que je n’ai pas aimé, ce que j’ai appris, ce que j’ai découvert de moi…». Comme pour chaque action, un temps de bilan est primordial.
Les filles ont trouvé cette expérience incroyable, elles ont beaucoup ri. Elles ont découvert des styles de musique qu’elles ne connaissaient pas, elles ont appris qu’elles étaient capables d’écrire de la poésie. Dans les comportements, elles ont réussi à se recentrer, à respecter la parole des autres, à se montrer sérieuses dans le travail.
De son point de vue professionnel, Martin trouve que le groupe a été très engagé tant dans la qualité de l’écriture que dans l’enregistrement. « Vous avez donné de belles énergies, vous avez su monter le niveau. Tout ce qu’on a fait dans cet atelier, vous pouvez le remobiliser dans votre vie au quotidien : s’écouter, prendre la parole en public, oser faire de nouvelles choses, et aller décrocher une victoire. Ça, vous en êtes capables ».
Martin explique qu’après il lui reste à mixer, c’est-à-dire à découper les paroles, mettre les voix plus fort ou moins fort. Il conclut en ajoutant : « Et je vais prendre du plaisir à finaliser ce projet. »
Retrouvez le morceau enregistré par les jeunes : https://orchestrepayssavoie.com/classique-slam/?fbclid=IwAR17ldRRcAc5NDBi-CXtYh2lE8-QW6iSfqGS-DS4bB5-Rqq-8Z3z6v-j1jI.]
Marion Bonnery, Responsable des publics et de l’action culturelle
Marion est chargée de concevoir, organiser et mettre en œuvre les actions culturelles et de médiation de l’Orchestre des Pays de Savoie à destination des publics ciblés (scolaires, publics éloignés, amateurs, publics empêchés, champs social). C’est son impulsion que l’orchestre des pays de Savoie s’est lancé dans ce projet participatif innovant, mêlant les arts, et permettant une incursion dans l’univers de la musique classique : Classique & Slam.
Le projet a été initié par Halpades et l’Orchestre des Pays de Savoie. Ainsi, deux groupes de jeunes accompagnés d’éducateurs de rue à Cluses et à Seynod ont pu participer à cet atelier proposé avec Fish le Rouge
Fish le Rouge :
Martin Chastenet, alias Fish le Rouge est un touche-à-tout reconnu dans la culture Hip-Hop depuis plus de 20 ans. Rappeur, slameur, beatboxer, poète ou beatmaker. Cet artiste-intervenant spécialisé dans les musiques urbaines est aussi à l’aise avec la création artistique qu’en intervention auprès de publics divers.