skip to Main Content
Prévention spécialisée
Action éducative qui s’adresse à des jeunes et groupes de jeunes

Hector, une autre perception de Vongy !

Mardi 18h30, c’est l’heure à laquelle deux éducatrices et une stagiaire ES terminent leur « tour de rue » ce soir de décembre. Les vacances de Noël débutent, et les collègues avancent emmitouflées dans leurs vestes chaudes. Il fait nuit, il fait froid. Elles sont déjà passées par deux autres quartiers avant d’arriver à pied à Vongy. Elles sont là depuis quelques mois, et étudient encore les zones d’intervention.

Pendant les vacances scolaires les éducateurs de prévention spécialisée, intensifient leur déambulation dans les lieux de passage des jeunes, et dans les quartiers d’habitation. Ils ne cherchent souvent personne en particulier, mais tombent par hasard, ici sur un jeune ou un groupe, là sur un parent. C’est alors l’occasion de prendre des nouvelles, de savoir ce qui se passe dans la vie d’untel ou d’untel, de répondre ou de différer une sollicitation, de capter l’ambiance… C’est ainsi, qu’on se fait accepter dans le décor, que peu à peu les éducs de prèv’ peuvent appréhender un quartier. C’est également ce qu’on appelle une approche expérientielle de son territoire d’intervention.

Elles aperçoivent alors Hector qui travaille le nez dans le moteur de sa voiture. Elles le connaissent un peu, car il est déjà venu au bureau. Elles comme lui s’identifient et donc, se saluent. Hector est très fier de sa voiture, on discute autour du véhicule, des installations qu’il a fait dedans, des balades et du camping qu’il part faire autour de Thonon grâce à elle. Lentement, la discussion dérive sur l’ambiance du quartier. « Je suis d’ici, c’est là que j’ai grandi » affirme-t-il fièrement.

Les éducatrices ne le savent pas encore, elles vont faire un bond en arrière d’une quinzaine d’années, et le voyage commence…

« Là, quand j’étais gamin, on faisait des parties de cache-cache dans les caves. A l’époque, elles communiquaient entre elles. Maintenant les gamins ne peuvent plus y jouer, elles sont cloisonnées » explique l’homme d’une trentaine d’année. Cet endroit était un des préférés des enfants. Les collègues sentent bien qu’il est plein d’émotions à évoquer ses souvenirs. Elles ont un peu de temps devant elles, et décident de ne pas le couper dans ses évocations. Le travail d’éducateur de rue consiste souvent à prendre le temps, quand cela est possible évidemment, d’une discussion, d’un moment partagé.

Il parle de son histoire, de moments de vie de son enfance : « Vous savez, on jouait au baseball dans le quartier. ». Les filles sont incrédules, un terrain de baseball ? Hector les emmène alors vers ce fameux « terrain ». Les éducatrices n’en croient pas leurs oreilles, elles n’ont jamais vu un tel équipement sportif sur le quartier, il doit être un peu caché.

Eh… Non ! C’est la rue. Il faut avoir l’imagination d’un enfant pour le voir. Le jeune homme repart « dans sa tête » pour nous montrer les différentes bases : un arbre pour la première, un autre pour la seconde, le coin du bâtiment pour la troisième, une grille métalique pour le home run. Et ça fonctionne, les éducatrices voient maintenant ce qu’il est en train d’expliquer. L’une d’elle raconte : « on découvre le quartier à travers ses yeux et ses souvenirs, et grâce à lui, ça marche ! On le regarde courir, on aurait presque envie de faire une partie avec lui.»

Le petit groupe poursuit à pied le voyage dans le passé de cet ancien jeune suivi des éducateurs d’alors, devenu adulte. Ils arrivent près du panier de basket. « Ici, on emmenait nos petites copines pour les impressionner. On jouait les durs, on mettait des paniers ». Il détourne le regard, et confie « et des fois, si elles étaient d’accord, on leur faisait un bisou derrière ce muret, mais en tout bien tout honneur ».

C’est en arrivant près de ce qui pourrait ressembler à un petit parc qu’un groupe de 3 jeunes garçons déboulent « à fond sur des trottinettes ». Ils ne font pas attention. Hector les interpelle pour qu’ils roulent moins vite. Les garçons s’arrêtent. Tout le monde se connaît. Hector joue le rôle de l’adulte responsable en leur demandant d’aller moins vite, que c’est dangereux. Il a l’appui des 3 collègues de la prèv’. Les jeunes gens demandent s’ils peuvent toujours se voir au local pour parler de leur projet autour de leur participation à un tournoi de foot. Les éducatrices poursuivent sur l’animation envisagée avec eux, et Hector se mêle à la conversation. «  C’est super que vous continuiez de prendre les petits pour leurs faire faire des activités. Souvent, si les adultes ne prennent pas l’organisation en charge, les jeunes n’ont pas les moyens de le faire d’eux-mêmes ». Lui aussi, dans un autre temps en a bénéficié. Et visiblement, il lui en reste de beaux souvenirs. Les ados poursuivent leur chemin, notre petit groupe continue le sien.

Cet « ancien » jeune se sent suffisamment sécurisé pour partager ses souvenirs. Il présente son quartier, son enfance, sans réserve. Il ne les connaît pas les nouvelles collègues, mais la confiance qu’il avait pour leurs prédécesseurs est suffisante pour qu’il soit à l’aise. « Je me suis sentie privilégiée, c’est comme s’il m’accueillait chez lui, dans son intimité » confie une éducatrice, même si elle repère son jeu : « C’est un « acting » valorisant pour lui, il se met un peu en scène en faisant découvrir son quartier. Et comme ça, il n’est pas collé aux représentations attendues ». Les éducatrices sont pourtant surprises.

Ce moment témoigne également du souhait de changer l’image que l’on peut avoir de son quartier. Les plus anciens ont le recul nécessaire pour faire émerger les côtés positifs. Hector a envie qu’on s’intéresse aux habitants pour des points forts, valorisants et pas uniquement pour les moments galères ou tendus. Ce que les gens vivent, n’est pas nécessairement ce qu’on pense savoir sur un quartier. « Quand tu fais du travail de rue dans une zone d’habitation, tu ne perçois pas immédiatement les liens entre les habitants, l’atmosphère, l’ambiance. Il n’y a que ceux qui l’ont éprouvé qui peuvent dire ce que ça leur évoque. Cette vision est loin d’être misérabiliste, Hector par son témoignage improvisé veut prouver que la vie de son quartier est riche, qu’elle n’est pas que difficulté. C’est un moment rare, magique » reconnaît une des éducatrices.

Les professionnelles de l’EPDA ne s’attendaient pas à cela. Les jeunes qui composent le public actuel leur ont fait le même tour de quartier quelques temps plus tôt. Ils sont fiers de cet endroit qui paraît isolé et cloisonné : c’est leur univers.

Et finalement, leurs yeux novices découvrent un lieu qui n’est pas sordide, ni triste, ni terne. Et quand ces jeunes partent de Vongy, ce lieu reste le leur.